La Fin d'un partage. Nature et société de Durkheim à Descola by Pierre Charbonnier

La Fin d'un partage. Nature et société de Durkheim à Descola by Pierre Charbonnier

Auteur:Pierre Charbonnier
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: CNRS
Publié: 2015-07-14T16:00:00+00:00


LE SENSIBLE, LE SIGNE, LE SENS

On comprend maintenant pourquoi l’objectivation symétrique des régimes de connaissance permet à Lévi-Strauss d’abandonner la théorie classique du totémisme. Le contraste avec la science moderne a fait ressortir l’idée selon laquelle les classifications sauvages fonctionnent à partir de qualités sensibles, qui fournissent l’armature des systèmes de représentation du monde. Ceux-ci ne peuvent donc plus être interprétés comme une confusion du naturel et du social, tout simplement parce que ce couple de catégories ne joue aucun rôle dans la structuration de ces savoirs. À la distribution familière des choses entre naturel et social, la pensée sauvage oppose une indifférence délibérée : rien n’interdit que des valeurs classificatoires soient associées à des espèces vivantes, des règles sociales, des météores, ou des propriétés du corps humain. Le fait que l’esprit parvienne à résoudre tous ses problèmes avec les seules ressources de la perception sensible dispense l’analyse de chercher une forme de superposition de ces savoirs avec le couple du naturel et du social, ou de l’humain et du non-humain : la qualification d’une chose comme naturelle, ou sociale, relève en effet d’un traitement conceptuel des données sensibles qui n’a pas sa place dans le genre de savoirs auxquels s’intéresse Lévi-Strauss. En focalisant son attention sur la diversité des formes d’attention au monde et l’élaboration des termes classificatoires, Lévi-Strauss permet de comprendre que, en fonction de la nature de ces termes mêmes, des différences considérables apparaissent selon le système particulier que l’on considère. Selon le type de traitement que l’on fait subir au sensible, les relations établies sont soit raréfiées, c’est-à-dire limitées autant dans leur forme que dans le genre de choses auxquelles elles s’appliquent, soit libérées, désinhibées, parce que tout peut être tour à tour classé et classificatoire, aucune barrière de genre ne limitant par principe le jeu des associations, ressemblances ou contiguïtés.

Les associations étudiées par Lévi-Strauss prennent de nombreuses formes : celle de l’explication causale, comme quand il est admis « qu’une graine en forme de dent préserve contre les morsures de serpent37 », du mythe, comme le récit hidatsa de la chasse aux aigles, de classifications ethnobotaniques ou encore de systèmes totémiques. Or le point commun à ces phénomènes est qu’ils associent des registres de réalité hétérogènes, leur caractère symbolique tenant justement à cette hétérogénéité. C’est ce que montre Gildas Salmon à travers le cas du traitement de la morsure de serpent : « C’est par l’intermédiaire de ce qui sert ici de “signifiant”, à savoir la forme sensible, que s’opère le passage entre le venin et la graine, à laquelle on confère à l’issue de ce processus une valeur de protection38. » La vertu curatrice de la graine ne tient donc pas directement à sa ressemblance avec une dent, mais à la superposition analogique entre cette ressemblance et une autre, postulée celle-ci, entre l’idée du venin et l’idée de son antidote. La causalité entre la graine et la morsure passe donc par un intermédiaire, qu’est une autre relation, la ressemblance entre la forme de la graine et celle de la dent.



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